Les patelles, ou berniques, ou arapèdes.
Ce sont des mollusques gastéropodes possédant une coquille conique (que l'on appelle aussi chapeau chinois). L'appellation Patelle
(Patella en zoologie) vient du latin patella signifiant petite coupe.
C'est depuis Linné qu'elle qualifie l'animal en zoologie. Elle est
désignée en français par différents noms locaux, comme tous les animaux
abondants. Sur le bord de la Méditerranée, on l'appelle arapède
(une espèce, patella ferruginea, s'est tellement raréfiée qu'elle est
strictement protégée) ; mais en Atlantique et en Manche, on l'appelle bernique, parfois brennique ou encore birrinik ; en breton officiel, c'est brennig (ce
serait un diminutif du mot bronn, qui désigne le sein ; une autre
origine proposée serait un mot gaulois qui désignait un casque.
Aucune réglementation ne régit actuellement la pêche de ces animaux en
Manche-Atlantique : cela semble indiquer implicitement que ce ne sont
pas des espèces menacées. Elle sont en tout cas beaucoup plus abondantes
que ne le pensent de nombreuses personnes avec qui nous avons discuté.
Patelles de tailles diverses sur un rocher qu'elles ont bien décapé. |
Voyons quelques détails
concernant ce gastéropode qui n'est finalement pas très connu. 3
espèces se rencontrent sur la côte française Manche-Atlantique. Pour
plus de détails, voyez aussi le site d'Auguste le Roux : famine chez les berniques (2006)
La coquille conique, qui ne montre aucun enroulement,
est particulière chez les gastéropodes, qui ont pour la plupart une
coquille enroulée, comme les escargots ou les bigorneaux; Même la
coquille de l'ormeau montre un enroulement. un peu ovale, cette coquille
peut mesurer plus de 5 cm de long et près de 4 cm de haut
(certains ouvrages donnent une longueur maximum de 7 cm, mais les plus
grandes que nous ayons mesurées faisaient 53 mm et elles paraissaient
déjà très grosses). L'apex, c'est à dire le sommet du cône, est plus
rapproché de l'avant que de l'arrière. Les jeunes berniques sont plus
aplaties que les vieilles.
Les
patelles vivent toujours sur un support rocheux (roche ou béton) ; si
on les trouve sur du sable, cela signifie la couche de sable est très mince.
Cela arrive parfois, suite à du mauvais temps, quand du sable vient
recouvrir la roche. Elles dégagent alors les sables autour de leur coquille.
Vue de dessus, la coquille de la patelle possède un bord souvent étroitement adapté au rocher.
Quand elle est émergée, elle ne montre souvent aucun espace entre elle
et la roche. D'où la conclusion, un peu hâtive, que ce type de
gastéropode vit immobile, comme une huître ou une moule. Erreur !
Certes, ce ne sont pas de bolides, et les patelles ne vont même pas à la
vitesse d'une limace ou d'un escargot ; elles peuvent tout de même
parcourir plusieurs cm à l'heure et faire le tour d'un aquarium en une
journée. Elles se déplacent peu lorsqu'elles sont émergées mais certaines ne sont pas toujours bien fixées au rocher. C'est surtout lorsqu'elles sont immergées qu'elles se déplacent pour
s'alimenter, et en général elles reviennent à la même place, dans la
même position, conditionnée par la forme du bord de la coquille: d'où
cette impression, fausse, d'immobilité totale. Les Anglais appellent cela le homing,
autrement dit le retour à la maison. On remarque là une
analogie avec certaines personnes, si attachées à leur bout de terre
qu'on les surnomme les berniques (il y a plus de berniques chez les
personnes âgées que chez les jeunes). Chez les
patelles, les jeunes sont également plus erratiques que les adultes, elles sont souvent moins
hermétiquement collées à la roche à marée basse.
jeune bernique baladeuse, en émersion |
La coquille est doublée, du côté interne, par un manteau, qui la secrète. Le reste du corps de l'animal comprend un pied, assez épais, musculeux, grâce auquel l'animal peut ramper. Il est surmonté d'une masse viscérale, comprenant les différents organes (tube digestif, hépatopancréas, reins, cœur et vaisseaux, organes reproducteurs). Un espace entre la coquille et le corps est normalement rempli d'eau : c'est la cavité palléale qui contient les branchies et sert à la respiration (les branchies
prélèvent l'oxygène qui y est dissous dans l'eau) ainsi qu'à
l'hydratation de l'animal. Cette cavité s'ouvre de chaque côté de la tête, par un orifice qui permet les échanges avec l'eau
ambiante chez l'animal immergé. Lors de l'émersion, la patelle peut
perdre son eau par cet orifice, et il est donc nécessaire que le bord de
la coquille soit bien étanche. Les patelles adaptent leur coquille en fonction des conditions de vie à marée basse : plus celles-ci sont sèches, plus la coquille est haute. Les patelles abritées sous des algues ont une coquille beaucoup plus aplatie (et moins épaisse) que celles qui vivent sur des rochers exposés au soleil.
A l'avant, la tête est très simple : elle porte 2 tentacules sans yeux et une bouche à l'extrémité d'un mufle assez mobile.
Vue ventrale
de l'avant d'une patelle : le mufle est encadré par les 2 tentacules,
gris ; la coquille est recouverte intérieurement par le manteau ;
l'avant du pied est visible en bas de l'image. |
A l'intérieur de la bouche
et du tube digestif, un ruban (plus long que le diamètre de la
coquille) porte de très nombreuses dents : au microscope, il ressemble
à une râpe : c'est la radula. Cette râpe effectue un mouvement
de va-et-vient grâce aux muscles de la cavité buccale et s'use au
fur et à mesure de son usage. Elle se forme au fond
d'un fourreau, dans lequel elle avance lentement mais continuellement.
La radula doit être impérativement retirée si on veut consommer la
bernique sans risquer de troubles digestifs !
La radula est plus longue que la coquille: dans l'animal vivant, elle est donc enroulée |
La radula. On voit aussi la tête, à droite et le bulbe buccal (rouge) qui contient les muscles actionnant la radula. |
détail de la radula |
La radula lui sert à
grignoter sa nourriture, constituée essentiellement d'une pellicule
gélatineuse recouvrant le rocher et contenant des algues microscopiques, des micro-organismes ainsi que de jeunes algues commençant à se
développer. Cette pellicule est bien développée à l'abri des algues
brunes. Elle l'est beaucoup moins sur les roches nues, que les berniques
raclent alors sans relâche, au point de ronger la pierre si elle est un
peu érodée. Le tube digestif de l'animal est alors rempli de sable et
il faut absolument enlever la masse viscérale si on veut manger le
mollusque.
Le territoire d'une patelle solitaire, sur un mur de quai. Les points blancs ne sont pas des patelles, mais des balanes (crustacés fixés et filtreurs, appelés bernacles en anglais) |
Eh si, en y regardant de plus près, il y a une autre patelle, minuscule |
Un
an après, la petite patelle a changé de place (on distingue encore son
ancien emplacement). La grande, elle, revient toujours à la même place. Au niveau le plus élevé (zone des fucus spiralés), les patelles broutent un abondant lichen lichina pygmaea. Cela ne les empêche pas de s'attaquer aussi aux fucus, qui prennent un aspect squelettique : Lorsqu'elles se trouvent au voisinage d'algues brunes, elles ont tendance à grignoter les extrémités de thalles ou les flotteurs, comme on peut le voir sur les images suivantes. L'image ci-dessus montre 3 patelles émergées, continuant à brouter chacune un "rameau" d'ascophylle. Elles ne sont pas collées au rocher. On peut également distinguer 4 jeunes individus, dont l'un est partiellement caché. 2 d'entre eux se sont déjà "aménagé" une place, parmi les algues rouges encroûtantes.
Lorsque l'attaque concerne la base de l'algue, c'est beaucoup plus grave, car la patelle va couper le thalle, dont elle n'aura, finalement, consommé qu'une toute petite partie.
Ci dessous, l'agrandissement de la photo précédente montre la petite patelle en pleine activité de broutage. Visiblement, le fait d'être hors de l'eau ne la gêne pas.
Quant à ce reste d'ascophylle, dont nous reparlerons dans le chapitre suivant, il n'a plus qu'une journée à vivre. Les traces de radulas sont très nettes.
Certaines personnes persistent à prétendre que les patelles ne mangent pas de macro-algues. Nous avons donc observé le contenu stomacal de quelques uns de ces animaux vivant à proximité de ces algues. On y trouve des morceaux d'algues (brunes, vertes ou rouges), parfois de grande taille par rapport à la taille de la patelle lorsqu'il s'agit d'algues vertes (fragments d'ulves de plusieurs mm de côté). Cela montre en plus que les patelles ne se contentent pas de grignoter les algues, mais les découpent en fragments.
On pourrait penser que les patelles pourraient servir à la lutte contre la prolifération de celles-ci, mais elles ne vivent pas dans le même milieu : les ulves qui posent problème se développent en pleine eau, généralement au-dessus de fonds sableux Il existe un autre gastéropode, voisin des patelles mais beaucoup plus petit, qui vit sur les laminaires: il s'agit de helcion pellucidum (aussi appelée patina pellucida ), dont la jolie coquille translucide est ornée de lignes pointillées bleues. Malgré sa taille, il a un appétit féroce, comme le montrent ces photos d'une saccorhiza polyschides fortement grignotée
On
considère ce gastéropode comme un ravageur. Il
creuse des cavités qui fragilisent l'algue et la font se déchirer prématurément sous l'action
de la houle. Voir le site doris, sur le sujet
La reproduction est très simple et ne comprend pas d'accouplement : ovules et spermatozoïdes sont émis au début de l'hiver dans l'eau ambiante et se rencontrent au hasard. Le liquide produit par les femelles est verdâtre, le sperme est blanchâtre. Les patelles sont d'abord mâles puis femelles en vieillissant . La cohabitation de jeunes patelles (mâles) et de patelles âgées (femelles) facilite le rapprochement des gamètes. Il arrive que ce rapprochement soit facilité par le fait qu'une petite patelle monte sur la coquille d'une grande, mais il ne s'agit absolument pas d'un accouplement. La petite patelle est simplement attirée par la nourriture présente sur l'autre coquille. Il s'agit souvent d'une algue brune encroûtante nommée ralfsia, si recherchée par les patelles que, souvent, on ne la trouve que sur leur coquille. Ralfsia est cette croûte noirâtre recouvrant la coquille. Une fois la petite patelle enlevée, on voit que cette croûte a été broutée. Une vue plus grossie (ci-dessous) montre les traces de radula. Le grand nombre d'ovules produit compense une mortalité considérable : tous ne sont pas fécondés et peuvent être la proie de toutes sortes d'animaux filtreurs (moules, huîtres, balanes,etc), d'anémones de mer, de méduses, de petits animaux du plancton (copépodes, etc). Il en est de même pour les larves. Les petites berniques, une fois fixées, ont une coquille fragile et peuvent servir de nourriture aux crevettes, aux crabes, aux poissons (blennies, petits labridés, etc). Mais la croissance est rapide et les patelles qui ont résisté à cette période difficile deviennent assez vite invulnérables. A partir d'un certain stade, seuls les crabes sont assez puissants pour les décoller du rocher. Nous avons parfois vu des goélands réussir à en retourner, peut-être plus par jeu que par nécessité.
A l'état adulte, les patelles n'ont plus que l'être humain comme prédateur.
Elles constituaient autrefois un complément alimentaire pour les
populations pauvres du littoral. C'était plutôt le travail des femmes,
pendant que les hommes pratiquaient la pêche sur les bateaux, ou étaient
embarqués dans la marine nationale ou la marine marchande. Avec
l'augmentation du niveau de vie, la récolte de ces animaux aux qualités
gastronomiques peu réputées a quasiment disparu. On dit parfois que les
mangeurs de homards ont remplacé, sur le littoral, les mangeurs de
berniques. Peut-être un peu exagéré, mais c'est vrai que le niveau de
vie a fortement augmenté sur la côte durant les 50 dernières années.
Pour récolter les berniques, il faut un bon couteau qu'on insère
entre la coquille et la roche. Si on surprend une bernique "mobile", c'est
relativement facile ; mais l'effort nécessaire si le gastéropode est
bien fixé montre bien qu'aucun animal n'est capable de le détacher dans
ces conditions (il est courant de casser la lame du couteau).
Le fait que les ramasseurs de patelles soient devenus rares est peut-être
une des causes de leur prolifération, de même que la pêche industrielle
aux crabes verts, qui a fortement réduit le nombre de ces crustacés
: d'après Auguste le Roux, cette pêche a été considérable en Bretagne Sud
dans les années 1980 ; ils étaient destinés au marché espagnol (les
Bretons consomment peu ces crabes et ne les utilisent guère que comme
appâts).
On trouvera sur internet de nombreuses recettes permettant de les
préparer de façon à en faire des mets tout à fait acceptables. Rappelons
qu'il ne faut pas oublier d'enlever la radula, et que la masse
viscérale des animaux qui raclent le rocher presque nu est également
immangeable à cause de la quantité de sable qu'elle contient.
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