La régression des
algues brunes en Finistère Sud
Exemple de la
crique de Portec (commune de Moëlan-
sur-Mer) et de ses environs
Un
problème déjà ancien.
Depuis plusieurs années, un problème préoccupe tous ceux qui
s’intéressent à l’environnement côtier : le développement envahissant des
algues vertes sur le littoral, notamment dans les baies abritées. Importante en
Bretagne Nord (baies de Saint-Brieuc, de Lannion, de Morlaix), cette invasion
reste plutôt limitée en Bretagne Sud : la principale zone concernée est la
baie de La Forêt-Fouesnant. Les causes en sont connues : excès de
nitrates, provenant de l’agriculture (engrais) et de l’élevage (lisier de
porcs), entraînant une eutrophisation des eaux douces arrivant à la mer, puis de la mer elle-même. Les
solutions se trouvent donc à terre ; la réduction des nitrates n’a
malheureusement d’effets qu’à long
terme, puisqu’ils sont stockés dans les nappes phréatiques.
Nous avons remarqué, depuis plusieurs décennies, un problème
tout aussi inquiétant, qui préoccupe les nombreux pêcheurs à pied de la région,
mais ne semble pas avoir retenu l’attention de la communauté
scientifique ; en tous cas, les médias n’ont pas répercuté d’éventuelles
informations : il s’agit de la raréfaction, voire de la disparition,
des algues brunes de la zone médio-littorale, communément rassemblées sous le nom de goémon.
A. Le Roux, ancien enseignant-chercheur en biologie marine,
nous a tout récemment fait part de ses
inquiétudes concernant ce phénomène, qui gagne à présent le Golfe du Morbihan
jusque là épargné ; Il publie un article sur ce sujet dans ce numéro
et nous a proposé de nous associer à cette étude, pour notre
secteur côtier (Sud-Est du Finistère).
Il
est donc temps de faire le point sur ce phénomène, d’essayer d’en déterminer
les causes, et, si possible de l’enrayer.
Les algues brunes et les raisons de s’y
intéresser.
Il y a quarante ou cinquante ans,
les algues brunes formaient, sur toutes les zones rocheuses du littoral
qui n’étaient pas exposées à l’action des fortes houles, des ceintures
denses bien caractéristiques dans l’étage médio-littoral (plus
précisément, entre le niveau de la marée haute et celui de la marée basse de
vives-eaux moyennes), décrites dans tous les ouvrages sur le littoral ; de
haut en bas, on trouvait classiquement :
1 ) Pelvetia canaliculata ; 2 )
Fucus spiralis ; 3) Fucus
vesiculosus ; 4 ) Fucus
serratus.
Une autre grande algue brune, Ascophyllum
nodosum, était associée aux
fucus des zones 2 et 3, en étant souvent prépondérante dans les zones
calmes. Les 5 espèces citées sont des Fucacées.
Au niveau supérieur, les Pelvetia et les Fucus
spiralis étaient souvent associées à des lichens (Lichina, surtout),
et à des algues rouges (Porphyra).
Au niveau inférieur, les Fucus
serratus étaient associés à des algues rouges variées.
Depuis
une vingtaine d’années, en certains endroits (surtout dans des zones assez
abritées) une autre algue brune, Sargassum
muticum, a proliféré. On avait craint l’invasion de cette espèce,
mais elle a régressé et s’est intégrée au milieu, tout en restant abondante
dans les mares.
Les fucacées étaient absentes dans
les zones fortement battues par la houle,
sauf dans certaines cuvettes ; les rochers étaient alors recouverts de
balanes, de moules (très nombreuses, mais restant très petites), de
patelles ; les cuvettes exposées abritaient des algues encroûtantes, des
oursins et des actinies. Au-dessous du niveau des basses mers moyennes de vives
eaux, les Fucus serratus laissaient la place aux cystoseires dans les
zones moyennement abritées ; dans
les zones battues, on trouvait des himanthalies et des laminaires.
Certes, les
fucacées, très glissantes, gênaient les déplacements à marée basse ; c’est
peut-être la raison pour laquelle peu de gens
regrettent leur disparition. De plus, les touristes ne supportent plus
l’accumulation de « goémon pourri »
sur les plages ; elle entraîne une gêne visuelle et olfactive, et incite les mairies dont dépendent ces
plages à éliminer toutes ces algues d’épave (parfois de façon excessive, en
enlevant aussi du sable).
Elles ont
pourtant une importance fondamentale pour la vie littorale : une
multitude d’animaux y trouve un abri efficace et la nourriture : par
exemple, gastéropodes (littorines de
différentes espèces, gibbules, patelles, etc) ; crustacés (crevettes, dont c’est la zone de reproduction ;
pagures, crabes divers, voire jeunes homards) ; petits poissons (gobies,
blennies, labridés ; jeunes de nombreuses espèces : lieus, mulets,
bars) ; seiches et pieuvres dans certaines zones, etc.
Leur
décomposition assure la nourriture
de nombreux crustacés (amphipodes, isopodes) et de larves d’insectes, qui sont
eux-mêmes la proie de nombreux poissons (mulets, lieus, bars) et d’oiseaux
(mouettes et goélands, limicoles, passereaux variés).
Il s’agit donc de producteurs
primaires très importants du littoral, comme le phytoplancton (celui-ci
étant la base de nutrition des mollusques et crustacés filtreurs) : Ces
algues assurent la biodiversité du littoral.
Pendant longtemps, les algues brunes ont servi de matière
première à l’industrie
(fabrication de la soude) et les algues décomposées étaient utilisées comme
engrais ; on peut encore voir, sur le littoral de Moëlan et de Clohars des
plate-formes où les paysans du littoral (qui étaient aussi pêcheurs, bien
souvent) entassaient le goémon ramassé pour le laisser sécher. L’exploitation
par des goémonniers professionnels existe encore en quelques secteurs de
Bretagne Nord (Léon, sillon de Talbert).
Aujourd’hui,
les fucacées régressent et ont parfois totalement disparu dans le secteur
que nous
fréquentons régulièrement allant de Trévignon à la rade de Lorient (60 km
environ) ; nous avons commencé nos observations entre Merrien et
Doëlan ; ce secteur, proche de notre domicile, nous étant aisément
accessible à pied.
Caractéristiques
de ce littoral ; « état des lieux »
Cette côte,
exposée aux gros temps de sud-ouest (orientation générale : 290°
- 110°), est constituée de falaises déchiquetées, de 5 à 15 m au-dessus des
plus hautes mers. Les micaschistes qui les forment sont très résistants à
l’érosion, mais des filons plus sensibles à la corrosion marine (amphibolites,
notamment) déterminent des dépressions et
de profondes encoches à parois verticales. C’est une des seules vraies
côtes « sauvages » de Bretagne Sud, sans maison ni route côtière
(surtout entre Port-Bali et Port-Lamat)
Elle se situe entre le Bélon et la
Laïta (rias mesurant chacune plusieurs kilomètres). Entre ces grands
estuaires qui ressemblent aux abers du Nord de la Bretagne, les rias de Brigneau
et de Doëlan, mesurent environ 1000 m de long chacune et celle de Merrien,
1600 m. Ces trois rias, occupées par des ports de pêche et de plaisance (très
fréquentés en été), reçoivent des ruisseaux au débit très faibles : seule
la rivière de Merrien a gardé des moulins à eau jusqu’au milieu du vingtième
siècle. Merrien a, comme le Bélon, une activité ostréicole (affinage).
Entre Merrien et Doëlan, on trouve 2
criques allongées, d’environ 250 mètres de long et 20 à 40 m de large : Port-Bali
et Portec dont le fond est occupé par des plages de galets et sable
gris, plus ou moins vaseux au-dessous
du niveau de mi-marée. Elles reçoivent chacune un ruisseau de 3 km de long environ, dont le
débit est encore plus faible que les
précédents.
D’autres criques ou
baies, encore plus petites, sont quelque peu abritées de la houle : Port-Stancou
et Port-Blanc, près de Doëlan ; Porchinec, entre Port-Bali
et Portec, sont les débouchés de vallons suspendus. Port-Lamat, entre
Portec et Port-Blanc, est une ria naine en forme de caisse. Les apports d’eau
douce y sont très faibles (sources, suintements ; ruisselets dont le
cours, souvent tari en été, n’est pas raccordé au niveau de la plus haute mer).
De petites plages, de gravier ou de sable, peuvent y exister de façon
éphémère ; seule celle de Port-Stancou est assez stable.
Les ruisseaux prolongent leur cours sur
l’estran, à marée basse ; ce cours est marqué en été par une coloration
verte due à des entéromorphes, qui disparaissent en hiver quand le débit d’eau
douce augmente. Ces algues vertes existaient déjà dans les années 60. Leur
développement est sans doute favorisé
par un enrichissement en substances nutritives.
En amont de ces criques ,
le territoire est une des parties les moins urbanisées du littoral de
Bretagne Sud ; la population sédentaire n’augmente pas de façon
importante ; la fréquentation touristique estivale reste raisonnable, en
raison de l’absence de véritable plage.
Les plateaux,
entre Merrien et Doëlan, sont
cultivés ; une bande côtière de 100 à 300 m de large reste à l’état
naturel : pelouse aérohaline et lande à ajoncs et bruyères dans les zones
exposées aux vents et aux embruns, fourrés de prunelliers dans les zones plus
abritées. Les versants sont des coulées vertes, protégées par le P.O.S (bois de
chênes et de frênes, avec parfois des groupes de pins maritimes) ; les
fonds de vallées, autrefois utilisées comme prairies (fauchées au mois de juin,
puis pâturées) sont devenus des bois de saules marécageux, difficilement
pénétrables.
Évolution
des peuplements d’algues brunes.
photo aérienne de Portec.
A Portec, les photos
de 1976 montrent des
peuplements de fucacées encore très
denses ; elles recouvraient
entièrement les rochers, avec une zonation classique. Des documents
personnels de 1982 et 1983 montrent une diminution de la densité des ascophylles et une
invasion d’algues vertes au-dessus et au-dessous des Fucus serratus ;
des marées vertes assez importantes ont eu lieu à partir de 1980, sans que nous puissions préciser
durant combien d’années (au moins 10 étés consécutifs). En 1986,
seules quelques plaques d’ascophylles subsistent : on peut estimer le taux
de recouvrement à moins de 25 %.
En 1991 il n’y a
presque plus de Fucus vesiculosus ni d’Ascophyllum, alors que les
Fucus spiralis et Pelvetia de l’étage supérieur et les Fucus serratus
de l’étage inférieur résistent encore (toujours environnées d’entéromorphes).
En 1992, une arrivée
de sable (observée aussi à Port-Lamat) a construit une barre à l’entrée de
Portec. Disparue l’année suivante, elle a apparemment provoqué un engraissement
de la plage. Ce sable jaune, ressemblant à ceux des embouchures de la Laïta et
du Bélon, provenait sans doute d’un dépôt de dragages, transporté par les
courants . Son action abrasive a peut-être eu une influence sur la
fixation des jeunes algues, mais nous avons vu que la majorité des Ascophyllum
et des Fucus avait déjà disparu.
En 2003, la ceinture de pelvéties est extrêmement fragmentée ; plusieurs
espèces de lichens, dont Lichina pygmaea, y forment localement
des peuplements serrés (points A, B, C de la photo aérienne). Plus bas, nous avons
trouvé, dans cette crique de 250 mètres de long, 3 pieds d’ascophylles, dont un
portant des organes reproducteurs (planche h-t n°2, photo c), et un autre
fortement brouté. Les Fucus spiralis ne se trouvent que dans des zones
de quelques mètres carrés (repères A et E de la photo aérienne) et sont de
petite taille : le plus long pied mesuré ne dépasse pas 22 cm. Quelques
pieds paraissent jeunes (2 à 3 cm de long), mais pourront-ils se développer et se reproduire ? Ces fucus sont
accompagnés d’entéromorphes qui recouvrent certains rochers. (planche h-t n°2, photo a et repères B,C,D, de la photo aérienne).Dans
toute la partie amont, les Fucus vesiculosus ont totalement disparu.
en 2003
Plus en aval (repère D de la photo
aérienne), là où on trouvait des Ascophyllum et des Fucus vesiculosus
on trouve quelques peuplements de Laurencia pinnatifida, de couleur très
foncée et de petite taille (moins de 2 cm).
Les
sargasses, qui avaient commencé à coloniser les cuvettes dans la zone des Fucus
vesiculosus et serratus, se raréfient elles-aussi : il n’en
reste que quelques pieds dans la partie aval de la rive droite (repère G de la
photo aérienne). Nous avons également découvert 2 pieds de Codium tomentosum,
espèce jusque là inconnue à Portec. Seule la ceinture de Fucus serratus
subsiste, mais elle est très amoindrie et discontinue.
Près de la
sortie de la crique (repère H de la photo aérienne) on trouve des Fucus
vesiculosus (forme evesiculosus : sans vésicules) : cette
forme est typique des milieux battus. Leur population est assez clairsemée mais comprend de jeunes individus .Peut-être
est-ce le signe d’une recolonisation ?
sur cette photo, au point A de la photo aérienne, la zone recouverte par les algues et la zone de berniques (en 2003)
A Port-Bali, seule une centaine de pieds
de Fucus vesiculosus (mesurant moins de 15 cm) occupe une zone de moins
de 1 m², située près d’un suintement d’eau douce, en amont de la rive gauche.
Ils sont accompagnés d’entéromorphes. Partout ailleurs, la situation est la
même qu’à Portec : balanes, patelles, moules, avec en plus quelques
huîtres.
A Doëlan, l’évolution est moins marquée ;
cependant, en aval, (sauf dans une zone
protégée par la digue, rive droite, où les ascophylles sont encore abondantes),
la disparition des algues brunes ressemble à celle observée dans les criques.
En amont, on trouve encore une couverture
algale continue, avec la zonation classique. La régression progresse de
l‘aval vers l’amont et de vastes plaques de rocher nu
apparaissent (surtout en exposition Sud, donc vers le large) ; situation bien visible aussi sur les murs de
quais. Les Fucus vesiculosus sont les premiers à disparaître, puis
viennent les ascophylles. Les observations sont comparables dans le Bélon,
l’Aven, le ports de Brigneau (planche hors-texte n°4) et
celui de Merrien.
A Trévignon, port-abri qui n’est pas situé à
l’entrée d’une ria, les fucacées sont encore abondantes dans le port, derrière
la jetée ; elles ont disparu « côté mer ».
Dans la Laïta, les Fucus vesiculosus et
les ascophylles remontent jusqu’à l’abbaye de Saint-Maurice ; elles sont
très abondantes en aval, vers Porsmoric par exemple. Par contre, au Pouldu,
autour de la plage des Grands-Sables, la situation actuelle est la
même qu’à Portec.
A Larmor-Plage, les
fucacées recouvrent entièrement les rochers, près du Fort de Kernével ;
avec néanmoins des zones recouvertes d’entéromorphes et de Porphyra. Ces
2 types d’algues recouvrent de très vastes surfaces sur la pointe de Toulhars
(en face de Port-Louis : rive droite de la rade de Lorient). En cette
station, les fucacées ont fortement régressé par rapport à 1996 (d’après un
film) ; il subsiste des Fucus vesiculosus mais peu d’Ascophyllum.
Côté mer, (ou plutôt coureaux : mode semi-abrité, du fait de la protection
de l’île de Groix), aux environs de la plage de Locqueltas , les rochers sont
dépourvus de fucacées, à l’exception d’une zone correspondant à un déversement
d’eau douce (eaux pluviales de la ville ?) : Cette zone est encore
recouverte d’Enteromorpha et de quelques Fucus vesiculosus. Les
entéromorphes et les Porphyra
recouvrent les rochers à la limite des hautes mers .
Cet aspect à Porphyra et algues
vertes a été retrouvé sur le côté ouest de l’isthme de Raguénès
(commune de Névez), dont les conditions sont pourtant très différentes (aucune
grande ria ni ville importante aux environs ; orientation à l’ouest ;
mode battu, malgré l’abri relatif des îles de Glénan, assez éloignées). Des photos et des relevés sur
ces différents sites vont désormais nous permettre de suivre le phénomène.
Dans les baies ouvertes comme Porchinec
et sur la côte « sauvage », la disparition des algues brunes
est plus ancienne (aux environs de 1960). Cependant, on y trouve actuellement,
par endroits, des Fucus vésiculeux (forme evesiculosus, de mode
battu) et même quelques ascophylles. La situation est parfois moins dramatique
que dans les petites rias et les entrées de ports.
Quelles peuvent être les causes de cette évolution ?
Il y a, de toute évidence, un déséquilibre du milieu : le
« mode battu », à animaux solidement fixés et sans algues
(au-dessus du niveau des basses mers de vives eaux moyennes), semble gagner du
terrain au détriment du « mode rocheux abrité », à algues. L’évolution semble toujours commencer par l’apparition
d’algues vertes (entéromorphes, auxquelles sont mêlées quelques ulves)
et d’un revêtement de Porphyra au niveau des hautes mers
; puis ces algues disparaissent elles-mêmes, laissant les rochers dépourvus de
végétation.
Les tempêtes seraient-elles plus violentes qu’autrefois,
où orientées différemment ? Malgré des épisodes agités (1975,1987,1999 par
exemple) cela ne paraît pas évident. La réponse pourrait peut-être venir de
Météo-France. Quelques sécheresses accompagnées de canicules, comme celle de
1976, ont peut-être aussi eu un rôle.
On peut penser
à une pollution, mais de quelle nature et de quelle origine ?
Une pollution pétrolière
chronique depuis plus de 50 ans, pourrait être responsable ; elle a connu
un maximum avec l’Érika. Cette marée noire (1999) a fait l’objet d’un
traitement « écologique » avec suivi
scientifique (dont nous ne connaissons pas les résultats) ; mais il
y a cependant eu des lavages au nettoyeur haute pression, voire des décapages
de la roche au marteau et au burin (dans l‘étage supra-littoral). Ni la
pollution, ni son traitement ne semblent avoir modifié la densité
d’algues ; de toutes façons, la plupart d’entre elles avaient déjà
disparu. De plus, les côtes du Léon, très affectées par l’Amoco-Cadiz et par
des dégazages semblent conserver de beaux peuplements d’algues. Il nous
faudrait l’avis d’observateurs léonards !
Une pollution d’origine terrestre, notamment une
pollution agricole, devrait faire davantage de ravages dans une ria recevant
beaucoup d’eau douce ; or, c’est précisément le contraire : ce sont
les rias les plus courtes et recevant les ruisseaux les plus faibles
(Port-Lamat, Porchinec) qui ont perdu leurs algues le plus tôt ; à Portec,
à Port-Bali, et en d’autres stations, les seules algues brunes survivantes sont
proches des suintements d’eau douce. Les bassins versants tributaires de ces
petites rias ne portent pas d’élevages hors-sol et sont plutôt moins cultivés
que l’arrière-pays ; Notons cependant les marées vertes déjà signalées
entre 1980 et 1990 dans les criques, notamment à Portec : elles
devaient être provoquées par l’abus de fertilisation agricoles les années
précédentes, de même que l’extension d’algues vertes aux limites inférieures du
niveau de Fucus serratus. Mais les ascophylles et les fucus vésiculeux
ont disparu avant ce phénomène.
D’autre part, la Laïta, qui draine un bassin où les causes de
pollution sont bien plus nombreuses,
conserve des algues brunes ; de même pour la rade de Lorient. Ces grandes
rias ont été aussi victimes de multiples pollutions industrielles, et sont
encore très polluées actuellement.
Les peintures anti-salissures, alors ? Il reste des
algues brunes à Doëlan, en face des bateaux. D’ailleurs, les
« antifoulings » des bateaux de plaisance sont surtout destinés à limiter,
par action de contact, l’installation
des balanes sur les carènes ; balanes qui, cependant, recouvrent
entièrement certains murs de quai.
La cause ,
s’il s’agit d’une pollution, semble plutôt venir de la mer.
Une autre cause possible est la consommation excessive des
algues
par des animaux ; ceux-ci, dans les zones où les algues ont
disparu, sont très peu variés .
Les patelles, selon
A. Le Roux (voir article dans ce numéro), qui a
étudié les estrans du Morbihan, sont à l’origine de la régression des
fucacées, notamment des ascophylles.
Ces patelles, gastéropodes brouteurs, sont en effet très
nombreuses (nous avons mesuré des densités de 100 à 600 animaux par mètre
carré). Autour d’elles, à Portec, le rocher est parfaitement propre,
nettoyé ; A Doëlan, par contre, au-delà de leur rayon d’action, la roche
est recouverte d’un enduit gluant constitué de particules minérales, de
diatomées, de cyanophycées et de divers microorganismes. Les macro-algues (Fucus
et Ascophyllum) sont broutées au voisinage des patelles : les
touffes sont parfois réduites à des moignons ; celles qui sont fixées sur
les coquilles de ces gastéropodes ne dépassent pas le bord de celles-ci. On
voit que les patelles consomment les algues brunes « adultes » mais
on peut penser qu’elles s’attaquent aussi, et surtout, aux jeunes algues
qui s’installent sur le rocher, et donc qu’elles sont les principales
responsables de la régression de ces algues.
le territoire d'une bernique |
3 stades de la régression d'une touffe d'algues sous la pression des berniques |
cette petite bernique a commencé à grignoter l'algie |
Les littorines sont surtout
représentés, à Portec, par des bigorneaux (Littorina littorea), très
abondants dans les fissures et les cuvettes, dans la zone à Fucus
vesiculosus. Les autres littorines
sont peu fréquentes, de même que les gibbules. Ce sont des animaux brouteurs,
qui peuvent s’attaquer aussi aux algues. L’ensemble représente une biomasse
moins importante que celle des patelles. Une espèce nouvelle de gastéropodes
est apparue en août 2003 : Onchidella celtica ; localement
abondante à Portec dans la zone C de la photo aérienne, sur des rochers exposés
au nord. Elle a complètement disparu cet hiver : réapparaîtra-t-elle l’été
prochain ? son installation est
trop récente pour qu’elle soit en cause dans la disparition des algues,
mais c’est peut-être un indicateur de modification du milieu.
Les crevettes, omnivores, grignotent les algues
brunes en aquarium ; en font-elles de même dans la Nature ? De toutes
façons ces crustacés disparaissent en l’absence d’abri : les algues
repousseraient après leur départ.
Les balanes, forment, en maints endroits, des peuplements
denses et peuvent aller jusqu’à
recouvrir totalement la roche ou le mur de quai.
Les moules, qui étaient absentes lorsqu’il y
avait des algues, prolifèrent, formant des peuplements localisés et très denses
(là aussi, le recouvrement peut être de 100 %), se développant souvent à partir
de fissures ; elles restent petites, comme celles qui se développent en
mode battu ; elles sont souvent recouvertes de balanes.
Des huîtres (Crassostrea
gigas) sont apparues à Port-Bali et à Doëlan ; originaires sans doute
de Merrien ou du Bélon, rias ostréicoles, elles se sont très récemment et
rapidement acclimatées à Doëlan.
Balanes, moules et huîtres sont des
animaux filtreurs : ils peuvent avoir une influence sur la reproduction
des algues en captant les cellules reproductrices. Cependant, nous avons trouvé, en mode
battu, de jeunes Fucus evesiculosus parmi des colonies de moules.
En conclusion , il faut insister sur le fait
que le même schéma évolutif semble se reproduire dans tous les sites
étudiés :
* Les fucacées (d’abord les Fucus
vesiculosus, puis les Ascophyllum) régressent de façon
impressionnante et catastrophique en différents endroits de notre littoral
comme en témoignent les documents.
* Leur régression
commence en aval des rias étudiées et se poursuit vers l’amont, donc ne semble pas liée à une
pollution terrestre d’origine humaine.
* Les rochers ainsi dénudés dans les
rias sont colonisés par des balanes, des patelles et des moules qui
sont d’habitude caractéristiques des estrans battus par les vagues. Les
patelles deviennent souvent extrêmement nombreuses et consomment visiblement
les algues qui subsistent .
*
La recolonisation des différents sites est peut-être amorcée (présence de Fucus evesiculosus, voire d’Ascophyllum
en quelques sites exposés à la houle) ; mais nous ne savons pas si ces
algues avaient complètement disparu à ces endroits.
Il s’agit
donc maintenant :
-
d’ assurer le suivi des populations d’algues brunes dans le plus grand
nombre de sites possibles en Bretagne, en comparant la situation actuelle avec
des données ou des photos anciennes
(appel à tous ceux qui en possèdent !) , puis en observant son évolution
dans les années à venir.
Nous proposons,
pour notre part, d’assurer ce suivi sur le secteur déjà étudié (communes de
Moëlan-sur-Mer et Clohars-Carnoët, du port du Bélon à Saint-Maurice, sur la
Laïta) et de l’étendre au secteur allant de Concarneau à Lorient ,pour
lequel nous disposons de nombreuses observations; ceci en prenant un maximum de
photos qui peuvent servir de référence .
- de déterminer si le phénomène est
irréversible ou cyclique.
- de démontrer l’action des patelles, par exemple en éliminant tous les individus, dans un certain rayon, autour d’un peuplement d’algues. Nous avons commencé de telles expériences à Portec et à Doëlan.
- de rechercher les causes de cette
prolifération des patelles et du déséquilibre constaté au détriment de la
biodiversité du milieu littoral ; et aussi de comprendre pourquoi la
régression des fucacées est souvent accompagnée, à son début, d’un
développement d’entéromorphes et de Porphyra. Cela nécessite des analyses qui
ne peuvent être réalisées que dans un laboratoire : les études de terrain
ne suffiront pas.
Résultat d’une expérience
simple.
Nous avons réalisé une expérience à Doëlan (en amont de
la digue, rive droite) : autour d’une zone d’environ 1 mètre carré
recouverte par des ascophylles et quelques fucus fortement broutés, nous avons
enlevé toutes les patelles en février 2004. A plusieurs reprises (mars,
juin, août, décembre) nous avons éliminé de nouveaux individus, qui
avaient parfois parcouru plusieurs mètres pour se rapprocher du
« champ » d’algues. Nous avons ainsi enlevé plus de 1800 animaux,
sur environ 6 mètres carrés. Un an après, la plupart des traces de broutage
ont disparu sur les ascophylles qui repoussent (croissance attestée par
l’apparition de flotteurs) et
produisent à nouveau des organes reproducteurs.
Aux environs, près de thalles comparables aux précédents, nous
n’avons pas touché aux patelles. En novembre 2004, presque tous ces thalles
avaient disparu. Une des touffes qui subsistaient a complètement disparu le 10
janvier : nous avons assisté à la disparition du dernier brin, coupé à la
base par une des patelles qui cernaient l’algue. Il semble donc que l’action
définitive des gastéropodes ait lieu en automne et en hiver, quand l’absence de
photosynthèse n’assure plus à l’algue une croissance suffisante pour compenser
la consommation par les animaux.
Il y a un an, nous hésitions encore à admettre cette action
prédominante des patelles. Ce que nous avons observé ne nous laisse plus aucun
doute. Nous invitons les personnes intéressées à venir voir ces résultats, et à
faire d’autres expériences en des lieux où l’évolution est comparable.
Observations sur d’autres
secteurs.
Des observations dans d’autres zones du littoral ont permis de
constater des situations identiques à celles du littoral de Cornouaille et du
Morbihan ; nous avons pu voir des champs d’ascophylles et de fucus
entourés de patelles sur des rochers plats de Vendée (Brétignolles) ; des
pêcheurs à pied connaissant bien le secteur ont confirmé qu’il n’y a pas encore
très longtemps, tous les rochers actuellement dénudés étaient recouverts de ces
algues brunes.
Mais l’exemple le plus spectaculaire que nous ayons observé
est sans doute à Trégastel, dans les Côtes d ‘Armor (près de la cale, côte
Ouest). Sur des rochers de granite rose presque plats , les champs d’algues
normaux (algues longues et sans traces
notables de broutage) sont entourés de « fronts » de patelles,
disposées sur 3 ou 4 rangs ; à l’extérieur de la zone, le rocher est
complètement nu, comme décapé. A la limite entre le champ d’algues et le front
de patelles, les ascophylles sont « en brosse » et portent des traces
de broutage évidentes. Les patelles
sont seules, on ne trouve pratiquement pas d’autres gastéropodes. Cette disposition en front a été déjà
décrite dans le Morbihan (île Berder) par Auguste Le Roux.
Le "front" de berniques "attaquant" un champ d'algues à Trégastel |
Ce qui est frappant, c’est la constance de cette
disposition, même si elle est moins nette lorsque le relief est accidenté,
comme c’est le cas avec les micaschistes de la portion de côte que nous avons
précédemment étudiée.