dimanche 27 avril 2014

Les patelles, ou berniques, ou arapèdes

Les patelles, ou berniques, ou arapèdes.

 

   Ce sont des mollusques gastéropodes possédant une coquille conique (que l'on appelle aussi chapeau chinois). L'appellation Patelle (Patella en zoologie) vient du latin patella signifiant petite coupe. C'est depuis Linné qu'elle qualifie l'animal en zoologie. Elle est désignée en français par différents noms locaux, comme tous les animaux abondants. Sur le bord de la Méditerranée, on l'appelle arapède (une espèce, patella ferruginea, s'est tellement raréfiée qu'elle est strictement protégée) ; mais en Atlantique et en Manche, on l'appelle bernique, parfois brennique ou encore birrinik ; en breton officiel, c'est brennig (ce serait un diminutif du mot bronn, qui désigne le sein ; une autre origine proposée serait un mot gaulois qui désignait un casque.
     Aucune réglementation ne régit actuellement la pêche de ces animaux en Manche-Atlantique : cela semble indiquer implicitement que ce ne sont pas des espèces menacées. Elle sont en tout cas beaucoup plus abondantes que ne le pensent de nombreuses personnes avec qui  nous avons discuté.
Patelles de tailles diverses sur un rocher qu'elles ont bien décapé.
     Voyons quelques détails concernant ce gastéropode qui n'est finalement pas très connu.  3 espèces se rencontrent sur la côte française Manche-Atlantique. Pour plus de détails, voyez aussi le site d'Auguste le Roux : famine chez les berniques (2006)
      


    La coquille conique, qui ne montre aucun enroulement, est particulière chez les gastéropodes, qui ont pour la plupart une coquille enroulée, comme les escargots ou les bigorneaux; Même la coquille de l'ormeau montre un enroulement. un peu ovale, cette coquille peut mesurer plus de 5 cm de long et près de 4 cm de haut (certains ouvrages donnent une longueur maximum de 7 cm, mais les plus grandes que nous ayons mesurées faisaient 53  mm et elles paraissaient déjà très grosses). L'apex, c'est à dire le sommet du cône, est plus rapproché de l'avant que de l'arrière. Les jeunes berniques sont plus aplaties que les vieilles.
      Les patelles vivent toujours sur un support rocheux (roche ou béton) ; si on les trouve sur du sable, cela signifie la couche de sable est très mince. Cela arrive parfois, suite à du mauvais temps, quand du sable vient recouvrir la roche. Elles dégagent alors les sables autour de leur coquille.

     Vue de dessus, la coquille de la patelle possède un bord souvent étroitement adapté au rocher. Quand elle est émergée, elle ne montre souvent aucun espace entre elle et la roche. D'où la conclusion, un peu hâtive, que ce type de gastéropode vit immobile, comme une huître ou une moule. Erreur ! Certes, ce ne sont pas de bolides, et les patelles ne vont même pas à la vitesse d'une limace ou d'un escargot ; elles peuvent tout de même parcourir plusieurs cm à l'heure et faire le tour d'un aquarium en une journée. Elles se déplacent peu lorsqu'elles sont émergées mais certaines ne sont pas toujours bien fixées au rocher. C'est surtout lorsqu'elles sont immergées qu'elles se déplacent pour s'alimenter, et en général elles reviennent à la même place, dans la même position, conditionnée par la forme du bord de la coquille: d'où cette impression, fausse, d'immobilité totale. Les Anglais appellent cela le homing, autrement dit le retour à la maison. On remarque là une analogie avec certaines personnes, si attachées à leur bout de terre qu'on les surnomme les berniques (il y a plus de berniques chez les personnes âgées que chez les jeunes). Chez les patelles, les jeunes sont également plus erratiques que les adultes, elles sont souvent moins hermétiquement collées à la roche à marée basse.
jeune bernique baladeuse, en émersion
      La coquille est doublée, du côté interne, par un manteau, qui la secrète. Le reste du corps de l'animal comprend un pied, assez épais, musculeux, grâce auquel l'animal peut ramper. Il est surmonté d'une masse viscérale, comprenant les différents organes (tube digestif, hépatopancréas, reins, cœur et vaisseaux, organes reproducteurs). Un espace entre la coquille et le corps est normalement rempli d'eau : c'est la cavité palléale qui contient les branchies et sert à la respiration (les branchies prélèvent l'oxygène qui y est dissous dans l'eau) ainsi qu'à l'hydratation de l'animal. Cette cavité s'ouvre de chaque côté de la tête, par un orifice qui permet les échanges avec l'eau ambiante chez l'animal immergé. Lors de l'émersion, la patelle peut perdre son eau par cet orifice, et il est donc nécessaire que le bord de la coquille soit bien étanche. Les patelles adaptent leur coquille en fonction des conditions de vie à marée basse : plus celles-ci sont sèches, plus la coquille est haute. Les patelles abritées sous des algues ont une coquille beaucoup plus aplatie (et moins épaisse) que celles qui vivent sur des rochers exposés au soleil.
 
    

     A l'avant, la tête est très simple : elle porte 2 tentacules sans yeux et une bouche à l'extrémité d'un mufle assez mobile.
Cette bernique retournée essaie de se remettre à l'endroit, grâce aux mouvements du pied. A droite, la tête et ses 2 tentacules cherchent un objet auquel se raccrocher. L'un des orifices de la cavité palléale est grand ouvert. On voit aussi comment les muscles rattachent le pied à la coquille.
Vue ventrale de l'avant d'une patelle : le mufle est encadré par les 2 tentacules, gris ; la coquille est recouverte intérieurement par le manteau ; l'avant du pied est visible en bas de l'image.







        A l'intérieur de la bouche et du tube digestif, un ruban (plus long que le diamètre de la coquille) porte de très nombreuses dents : au microscope, il ressemble à une râpe : c'est la radula. Cette râpe effectue un mouvement de va-et-vient grâce aux muscles de la cavité buccale et s'use au fur et à mesure de son usage. Elle se forme au fond d'un fourreau, dans lequel elle avance lentement mais continuellement. La radula doit être impérativement retirée si on veut consommer la bernique sans risquer de troubles digestifs !
La  radula est plus longue que la coquille: dans l'animal vivant, elle est donc enroulée
La radula.  On voit aussi la tête, à droite et le bulbe buccal (rouge) qui contient les muscles actionnant la radula.



détail de la radula
un tronçon de radula vu au microscope


  La radula lui sert à grignoter sa nourriture, constituée essentiellement d'une pellicule gélatineuse recouvrant le rocher et contenant des algues microscopiques, des micro-organismes ainsi que de jeunes algues commençant à se développer. Cette pellicule est bien développée à l'abri des algues brunes. Elle l'est beaucoup moins sur les roches nues, que les berniques raclent alors sans relâche, au point de ronger la pierre si elle est un peu érodée. Le tube digestif de l'animal est alors rempli de sable et il faut absolument enlever la masse viscérale si on veut manger le mollusque.


Ce mur de quai, à Doêlan, est recouvert d'une couche gélatineuse contenant des microalgues et divers microrganismes (bactéries, protozoaires, etc... dont se régalent les berniques. Elles ont nettoyé une bonne surface autour d'elles.
Le territoire d'une patelle solitaire, sur un mur de quai. Les points blancs ne sont pas des patelles, mais des balanes (crustacés fixés et filtreurs, appelés bernacles en anglais)
Eh si, en y regardant de plus près, il y a une autre patelle, minuscule
Un an après, la petite patelle a changé de place (on distingue encore son ancien emplacement). La grande, elle, revient toujours à la même place.
     
      Au niveau le plus élevé (zone des fucus spiralés), les patelles broutent un abondant lichen lichina pygmaea. Cela ne les empêche pas de s'attaquer aussi aux fucus, qui prennent un aspect squelettique :

    Lorsqu'elles se trouvent au voisinage d'algues brunes, elles ont tendance à grignoter les extrémités de thalles ou les flotteurs, comme on peut le voir sur les images suivantes.


  L'image ci-dessus montre 3 patelles émergées, continuant à brouter chacune un "rameau" d'ascophylle. Elles ne sont pas collées au rocher. On peut également distinguer 4 jeunes individus, dont l'un est partiellement caché. 2 d'entre eux se sont déjà "aménagé" une place, parmi les algues rouges encroûtantes.
      

 

   Lorsque l'attaque concerne la base de l'algue, c'est beaucoup plus grave, car la patelle va couper le thalle, dont elle n'aura, finalement, consommé qu'une toute petite partie.


   Ci dessous, l'agrandissement de la photo précédente montre la petite patelle en pleine activité de broutage. Visiblement, le fait d'être hors de l'eau ne la gêne pas.

   Quant à ce reste d'ascophylle, dont nous reparlerons dans le chapitre suivant, il n'a plus qu'une journée à vivre. Les traces de radulas sont très nettes.

  Certaines personnes persistent à prétendre que les patelles ne mangent pas de macro-algues. Nous avons donc observé le contenu stomacal de quelques uns de ces animaux vivant à proximité de ces algues. On y trouve des morceaux d'algues (brunes, vertes ou rouges), parfois de grande taille par rapport à la taille de la patelle lorsqu'il s'agit d'algues vertes (fragments d'ulves de plusieurs mm de côté). Cela montre en plus que les patelles ne se contentent pas de grignoter les algues, mais les découpent en fragments.
  On pourrait penser que les patelles pourraient servir à la lutte contre la prolifération de celles-ci, mais elles ne vivent pas dans le même milieu : les ulves qui posent problème se développent en pleine eau, généralement au-dessus de fonds sableux

 Il existe un autre gastéropode, voisin des patelles mais beaucoup plus petit, qui vit sur les laminaires: il s'agit de helcion  pellucidum (aussi appelée patina pellucida ), dont la jolie coquille translucide est ornée de lignes pointillées bleues. Malgré sa taille, il a un appétit féroce, comme le montrent ces photos d'une saccorhiza polyschides fortement grignotée









    On considère ce gastéropode comme un ravageur. Il creuse des cavités qui fragilisent l'algue et la font se déchirer prématurément sous l'action de la houle. Voir le site doris, sur le sujet

La reproduction est très simple et ne comprend pas d'accouplement : ovules et spermatozoïdes sont émis au début de l'hiver dans l'eau ambiante et se rencontrent au hasard. Le liquide produit par les femelles est verdâtre, le sperme est blanchâtre. Les patelles sont d'abord mâles puis femelles en vieillissant . La cohabitation de jeunes patelles (mâles) et de patelles âgées (femelles) facilite le rapprochement des gamètes. Il arrive que ce rapprochement soit facilité par le fait qu'une petite patelle monte sur la coquille d'une grande, mais il ne s'agit absolument pas d'un accouplement. La petite patelle est simplement attirée par la nourriture présente sur l'autre coquille. Il s'agit souvent d'une algue brune encroûtante nommée ralfsia, si recherchée par les patelles que, souvent, on ne la trouve que sur leur coquille.





     Ralfsia est cette croûte noirâtre recouvrant la coquille. Une fois la petite patelle enlevée, on voit que cette croûte a été broutée. Une vue plus grossie (ci-dessous) montre les traces de radula.

    Après la fécondation, les ovules deviennent des larves qui nagent grâce à des cils vibratiles. Ces larves produisent rapidement une coquille qui les alourdit et les fait tomber au fond; le pied, développé simultanément à la coquille, permet la fixation de la jeune patelle au fond. Évidemment, pendant ce temps, les vagues et les courants ont pu déplacer la larve vers un lieu qui n'est pas propice à sa fixation, et elle va mourir. 
     Le grand nombre d'ovules produit compense une mortalité considérable : tous ne sont pas fécondés et peuvent être la proie de toutes sortes d'animaux filtreurs (moules, huîtres, balanes,etc), d'anémones de mer, de méduses, de petits animaux du plancton (copépodes, etc). Il en est de même pour les larves. Les petites berniques, une fois fixées, ont une coquille fragile et peuvent servir de nourriture aux crevettes, aux crabes, aux poissons (blennies, petits labridés, etc). Mais la croissance est rapide et les patelles qui ont résisté à cette période difficile deviennent assez vite invulnérables. A partir d'un certain stade, seuls les crabes sont assez puissants pour les décoller du rocher. Nous avons parfois vu des goélands réussir à en retourner, peut-être plus par jeu que par nécessité.
       A l'état adulte, les patelles n'ont plus que l'être humain comme prédateur. Elles constituaient autrefois un complément alimentaire pour les populations pauvres du littoral. C'était plutôt le travail des femmes, pendant que les hommes pratiquaient la pêche sur les bateaux, ou étaient embarqués dans la marine nationale ou la marine marchande. Avec l'augmentation du niveau de vie, la récolte de ces animaux aux qualités gastronomiques peu réputées a quasiment disparu. On dit parfois que les mangeurs de homards ont remplacé, sur le littoral, les mangeurs de berniques. Peut-être un peu exagéré, mais c'est vrai que le niveau de vie a fortement augmenté sur la côte durant les 50 dernières années.
     Pour récolter les berniques, il faut un bon couteau qu'on insère entre la coquille et la roche. Si on surprend une bernique "mobile", c'est relativement facile ; mais l'effort nécessaire si le gastéropode est bien fixé montre bien qu'aucun animal n'est capable de le détacher dans ces conditions (il est courant de casser la lame du couteau).
      Le fait que les ramasseurs de patelles soient devenus rares est peut-être une des causes de leur prolifération, de même que la pêche industrielle aux crabes verts, qui a fortement réduit le nombre de ces crustacés : d'après Auguste le Roux, cette pêche a été considérable en Bretagne Sud dans les années 1980 ; ils étaient destinés au marché espagnol (les Bretons consomment peu ces crabes et ne les utilisent guère que comme appâts).
    On trouvera sur internet de nombreuses recettes permettant de les préparer de façon à en faire des mets tout à fait acceptables. Rappelons qu'il ne faut pas oublier d'enlever la radula, et que la masse viscérale des animaux qui raclent le rocher presque nu est également immangeable à cause de la quantité de sable qu'elle contient.

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